La maison d'alzaz ou le blog de l'écologie

1 septembre 2011

Le sol, un écosystème discret

Généralités

Discret mais très actif, le sol n’est pas ce que croit la plupart d’entre-nous ; il n’est pas qu’un support nutritif pour les végétaux qui y poussent, il est, à la fois, un super-organisme et un écosystème des plus complexes. Super-organisme car il naît, se développe, respire, digère, assimile et accumule des réserves. Enfin, il meurt et disparaît si les conditions ne lui sont plus favorables. Écosystème par son mode de fonctionnement en liaison avec l’atmosphère, l’hydrosphère et la lithosphère. S’y réalisent les cycles élémentaires de la matière, s’y établissent des chaînes alimentaires qui s’organisent en un complexe et sophistiqué réseau trophique. En fait, un hectare de sol forestier contient plus d’organismes vivants – sans même compter les bactéries – que n’abrite d’êtres humains la planète toute entière.

Un sol naît à partir d’une roche-mère qui sera peu à peu dégradée par les éléments climatiques (gel, dessiccation, vent, pluie…) mais aussi par des espèces dites pionnières (bactéries, lichens, mousses, champignons…). Éléments abiotiques et biotiques se conjuguent pour, à la longue, réduire la roche en fines particules. Lorsque cette couche atteint quelques centimètres d’épaisseur, d’autres espèces végétales, dites colonisatrices (fougères, herbacées, petits arbustes), peuvent s’installer ; mais le substratum est encore pauvre en matériaux organiques. Peu à peu, tout ce petit monde étant mortel, de la matière organique s’accumule dans ce très jeune sol; Des espèces spécialisées dans sa dégradation vont intervenir pour (re)minéraliser cette matière organique, transformation d’abord en humus, en éléments minéraux divers ensuite. Ces derniers sont repris par les végétaux qui les absorbent par leurs racines, ou par les feuilles comme c’est le cas du carbone. Tout participe à l’élaboration d’un sol : l’eau, l’air, le minéral, sans oublier les êtres vivants. Les animaux fouisseurs passent un temps fou à mélanger et à brasser les différents éléments du sol, ce qui confère à ce dernier une structure idéale pour accueillir des végétaux. Le processus complet qui conduit à la formation d’un sol arable à partir d’une roche affleurant prend au minimum 500 ans et, comme un être vivant auquel il s’apparente, le sol reste vulnérable à tous stades de sa vie tant une telle formation est fragile par nature : un simple changement du climat peut le réduire à néant en un temps relativement court, tout comme les activités humaines peuvent l’affecter de façon irréversible en quelques heures.

On ne peut dissocier du système sol les êtres vivants qu’il abrite, ils en font entièrement partie, le tout formant une entité pédologique. Ceci dit en passant, il existe différents types de sols selon les conditions dans lesquelles il se forme. Un sol forestier de région tempérée où ne poussent que des feuillus, l’humus est de type “mull ”, le pH est presque neutre (un pH de 6,5 est neutre pour un sol), la matière organique ne s’accumule pratiquement pas tant sa décomposition est bien régulée. Cela diffère d’un sol propre à des conifères poussant dans des régions plus septentrionales ; l’humus, de type “ mör ”, est acide, peu dégradé car les températures freinent l’activité des micro-organismes, la matière organique s’accumule en couche épaisse. Le sol d’une tourbière australe a, par exemple, un pH proche de 3 (très forte acidité). Du coup, chaque sol possède un ensemble faunistique et floristique qui lui est propre. Les grands cycles de la matière (carbone, azote, eau, oxygène…) s’y produisent, faisant du sol une véritable “ plaque tournante ” indispensable à la vie de toute la biosphère :

♦ l’azote provient de la dégradation des protéines animales et végétales dont étaient constitués les vivants avant qu’ils ne trépassent. Les décomposeurs et les transformateurs se chargent de ce travail long et fastidieux qui est de réduire les protéines en micro-particules, c’est à dire en nutriments pour plantes. Que feront les plantes de cet azote simplifié ? Des protéines nouvelles…

♦ le carbone provient de la dégradation, effectuée par les micro-arthropodes et les lombrics, des sucres contenus dans les cadavres d’animaux et de végétaux morts, en décomposition. Nourriture ingurgitée par des micro-consommateurs qui veulent en tirer l’énergie chimique, ces glucides sont brûlés lors de la respiration cellulaire, pour être rejetés sous forme de gaz carbonique dans le sol, duquel il est partiellement transféré à l’atmosphère. Quel est le devenir de ce gaz remis dans l’air ? Les végétaux l’absorberont pour en faire des sucres nouveaux (photosynthèse).

Dans nos forêts de feuillus, ce sont 3 à 8 tonnes à l’hectare qui tombent au sol chaque année. Ce qui n’est pas consommé par les animaux herbivores de la forêt, soit 95%, sera intégré dans le sol via sa litière (horizon 0 des pédologues). La majeure partie sera décomposée dans l’année, le reste constituera un fond de réserve sous forme organique complexe (humus, humines et acides humiques). Sans cet incessant renouvellement du sol, la vie se serait arrêtée depuis longtemps, faute d’éléments disponibles pour construire à nouveau du vivant ; sans parler de l’intoxication par accumulation de déchets. Un exemple d’autarcie dont pourraient se servir les êtres humains.

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Les forçats du sol

Privé de ses habitants un sol n’est rien. Étant donnée leur taille souvent microscopique une grande partie d’entre-eux passe inaperçue. Pourtant ils sont des centaines – que dis-je, des millions – à œuvrer sans cesse comme décomposeurs, transformateurs ou prédateurs, sous chacun des pas que fait un promeneur à l’intérieur d’une forêt. Les plus grands représentants de la faunule du sol (macro-faune) sont les lombrics, les mille-pattes (myriapodes), les araignées et les mollusques terrestres (escargots, limaces), sans oublier quelques coléoptères et leurs larves, ou les crustacés terrestres (cloportes et glomeris). Les plus petits d’entre-eux sont les bactéries et les champignons (micro-faune) ; les vers enchytréidés, les collemboles et les acariens représentent la taille intermédiaire (méso-faune). La majorité des êtres vivants peuplant le sol se trouve dans la litière constituée de débris végétaux, de cadavres d’animaux, de fèces et de pelotes de réjection, mais aussi d’une faible fraction minérale provenant de la roche-mère qui subit une lente dégradation thermo-chimique. La litière offre un habitat idéal car elle contient une manne inépuisable pour les animaux qui sont chargés de sa transformation. Les produits de cette opération vont à la longue donner de la terre, plus ou moins poudreuse et dont la texture et la couleur peuvent varier d’un sol à l’autre. [Pour une définition strictement scientifique (moins vulgarisée) de certains termes, se reporter à la très pertinente remarque d’Alexandro, se trouvant dans les commentaires.]

Pour exemple :

Un mètre carré de sol de bonne qualité abrite 150 g d’animaux (bactéries non comprises), soit plus de 260 millions d’individus d’espèces différentes. La biomasse fabriquée par un sol au long de l’année est impressionnante (une tonne de lombrics et une tonne d’arthropodes par hectare) puisqu’elle équivaut à deux fois et demi ce que produit la même surface de prairie en viande bovine (800 kg = 2 vaches). Une véritable chaîne alimentaire débute par les végétaux  morts mais encore frais et les cadavres d’animaux jonchant le sol ; elle se termine avec des consommateurs secondaires (insectivores) et tertiaires (carnivores).

Qui n’a jamais observé le squelette d’une feuille d’arbre représenté par l’ensemble des nervures, privées de parenchyme, qui s’anastomosent entre-elles comme les fils d’une dentelle ? Cette feuille qui va bientôt complètement disparaître a été attaquée par des minuscules vers, les enchytréidés ; ils en ont dévoré le limbe. Viennent ensuite les myriapodes. Ils dépensent une énergie phénoménale pour couper, broyer et fragmenter des quantités énormes de litière. Les déchets de leur métabolisme servent de nourriture aux collemboles, aux acariens phytophages et coprophages, ainsi qu’aux petits coléoptères. Participent aussi à cette longue chaîne de transformation de la matière des mollusques comme les escargots et les limaces, des herbivores (ou phytophages). Des prédateurs de taille moyenne (acariens zoophages, pseudoscorpions, iules et autres mille-pattes…) font des plus petits leur festin quotidien, eux-mêmes étant chassés et piégés par de plus gros qu’eux (oiseaux et mammifères insectivores)…

Mais la palme du meilleur ouvrier du sol revient très certainement aux lombrics : « véritables laboureurs biologiques, ils brassent, enfouissent et rendent assimilables les éléments nutritifs nécessaires aux végétaux ; ils aèrent et drainent le sol ; ils entrent dans les réseaux alimentaires car ils sont mangés par de nombreux animaux » ; Les vers de terre sont donc de gros mangeurs de terre qu’à chaque bouchée ils améliorent.

Cette digestion de matières organiques se fait mécaniquement (mastication, broyage à l’aide des mandibules…) mais aussi chimiquement (enzymes de la digestion) ; elle consiste à réduire les cadavres animaux et végétaux en particules d’autant plus fines que les bactéries et le mycélium des champignons pourront les prendre également en charge à des fins alimentaires. Ce sont eux qui auront le dernier mot de la chaîne de transformation de l’organique en minéral (minéralisation). Au final, on obtient une bonne terre dont l’odeur de bois trahit la présence de streptomycètes. Si bactéries et champignons se mettaient à proliférer, la nature a tout prévu pour réguler leurs populations : les rotifères et les protozoaires s’en délecteront. En tous cas, ce sont les morts qui donnent cette bonne terre agricole.

Une usine de démantèlement moléculaire

Le sol se comporte comme un vaste estomac fait pour digérer les matières organiques complexes provenant de tout ce qui meurt : poussière, tu redeviendras poussière… où, en l’occurrence, la poussière, c’est de la terre. Une fois le démantèlement mécanique des composants de la litière bien entamé, la chimie peut intervenir. Ou plutôt la biochimie, car c’est là le travail des micro-organismes du sol, dont le nombre est considérable. Leur rôle ? Rendre minéral ce qui est encore organique : leurs déchets ne ressemblent pas aux nôtres ; pas de fèces à l’odeur épouvantable, rien que des gaz (dioxyde de carbone et méthane entre autres), de l’eau et des sels minéraux azotés, soufrés ou phosphatés. Le tout est mis à disposition des végétaux qui puisent les sels minéraux et l’eau par leur système racinaire, et absorbent le gaz carbonique (dioxyde de carbone ou CO2) par leurs feuilles. L’ammoniaque est un gaz que produit la fermentation dans le sol ; il est rapidement ionisé au contact de l’eau pour devenir de l’ammonium (NH4+), modifié en nitrites (NO2) puis en nitrates (NO3), tout au bout de la chaîne de démantèlement. Ces minéraux sont les nutriments recherchés par les plantes.

Les bactéries et les champignons de la litière sont aptes à dégrader la cellulose des végétaux en décomposition. Les humains ne peuvent le faire car ils ne disposent pas du système enzymatique adéquat. Les produits de la dégradation de la cellulose sont repris par d’autres organismes qui s’en nourrissent. Ainsi, avant d’être transformés en gaz carbonique, les composés carbonés complexes (glucides) sont d’abord simplifiés moléculairement (= digérés) en amidon, en pectines et en hémicelluloses. Ces molécules, encore trop grandes, sont métabolisées en structures moléculaires plus rudimentaires comme la destrine, l’hexosane ou encore les acides organiques. Les organismes moins spécialisés en feront finalement de l’eau (H2O) et du gaz carbonique (CO2).

Plus spécialisés sont les champignons basidiomycètes puisqu’ils sont capables de digérer même la lignine des végétaux; La lignine (ou bois) est une molécule complexe, un haut polymère phénolique propre aux dicotylédones et à de rares monocotylédones ; elle est indigeste pour la plupart des êtres vivants. Les basidiomycètes (beaucoup sont comestibles) sont donc des mangeurs de bois professionnels ; certains s’attaquent même aux arbres vivants.

Pour ce qui relève du recyclage des matières organiques azotées, se reporter au chapitre « Quelques cycles bio-géochimiques » ; le cycle de l’azote y a été traité de manière suffisamment détaillée (c’est assez complexe comme ça).

Une banque alimentaire : l’humus

Si en latin “ humus ” veut dire “ terre ”, le mot humain s’y apparente, tout comme humilité par ailleurs. Le sol digère les corps morts mais pas seulement. Son véritable rôle est biogénique (il donne la vie) pour l’ensemble de la biosphère, du moins pour sa partie terrestre et littorale. Des mécanismes biologiques propres à l’humus dépend le recyclage de la matière morte qui est le déchet de l’expression du vivant. Avant d’être totalement minéralisée, la matière morte brute subit une transformation physico-chimique intense qui la conduit à cette forme organique complexe, composante essentielle d’un sol arable. L’humus est constitué de matières végétales et animales mortes mais non encore modifiées, d’une partie en cours de dégradation ou déjà transformée, le tout étant associé à des polymères organiques issus de cette dégradation.

Grâce à sa lignine et à ses dérivés phénoliques, cet hétéro-complexe possède, en automne, une structure favorable à la mise en réserve des nutriments issus de la minéralisation. Sans humus – celui-ci fixe les ions nutritifs – un sol serait lessivé par les pluies d’automne, alors que les conditions de minéralisation sont à leur optimum. Le lessivage des sels minéraux est provoqué par l’eau s’infiltrant en profondeur quand elle les entraîne avec elle ; ils sont perdus pour les végétaux qui en auraient besoin au printemps. La nature étant bien faite, notre humus va agir comme un retardateur (ralentisseur biologique) puissant de la minéralisation automnale.

Au printemps, l’activité de certains champignons va modifier la structure de l’humus, ce qui permettra à la minéralisation de reprendre au grès des besoins alimentaires des végétaux. L’humus n’est pas séparé de la fraction minérale du sol : il est associé à des argiles – humus et argiles sont des colloïdes car ils restent en suspension dans l’eau – pour former une structure chère aux spécialistes des sols (pédologues), le complexe argilo-humique (CAH). On oublie souvent de le dire, mais ce CAH abrite une micro-flore sans laquelle il ne pourrait remplir son rôle de distributeur en nutriments pour végétaux ; c’est pourquoi, je préfère parler à mes élèves de complexe bio-argilo-humique. L’humus est un banquier vivant et généreux, mais c’est aussi un excellent gestionnaire des ressources.

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